Cet idiot qui vous veut du bien ! Une lecture pour repenser l’innovation et la dynamique collective en entreprise.

J’ai dernièrement lu un article de Samuel Lacroix qui proposait un regard différent sur ceux que nous pourrions qualifier d’« idiots ». Nous avons tous connu ce collègue en décalage, qui semble évoluer dans un autre monde. Celui de qui l’on dit, parfois avec tendresse, qu’il « arrive au travail en tapis volant », comme pour signifier une certaine déconnexion avec la réalité commune. Et pourtant… « On l’aime bien ! »

L’idiotie, perçue comme un défaut d’intelligence dans l’imaginaire collectif, semble a priori inutile, voire nuisible. À l’heure où l’ idiocratie semble atteindre les plus hautes sphères du pouvoir mondial, il peut paraitre osé d’écrire sur la réhabilitation de l’idiotie… Mais je me lance.

Nous pourrions nous demander si celui qui apparaît comme l’idiot du groupe ne détient pas, à son insu, un rôle fondamental dans la dynamique collective. Et la réponse pourrait bien nous surprendre.

L’idiot, révélateur des biais et promoteur de la diversité cognitive

L’idiot est souvent celui qui ne sait pas ce que les autres croient savoir. Dépourvu des codes ou des normes tacites, il pose les questions naïves que d’autres n’osent pas formuler, par peur du jugement. Il ne se soucie pas de paraître incompétent et, ce faisant, il rend visible ce que le groupe prend pour acquis. Ce rôle de questionneur involontaire favorise l’explicitation des évidences et, paradoxalement, clarifie la pensée collective.

En entreprise, ce type de posture est précieux. Il remet en question les routines, interroge les logiques établies et brise l’entre-soi conformiste.

« Quand le sage regarde la lune, l’idiot regarde le doigt »

Finalement, n’y a-t-il pas plus belle illustration de ce que l’idiot parvient, lui, à faire : regarder ailleurs que là où on lui intime l’ordre de regarder ? Quitte à s’attirer les moqueries de ses collègues. Mais soyons honnêtes: combien de fois vous êtes-vous déjà dit : «Heureusement que quelqu’un a posé la question, je n’osais pas ! » ?

Le comportement de l’idiot met souvent en lumière les mécanismes d’exclusion implicites au sein des collectifs. Lorsqu’un groupe adopte des certitudes partagées sans remise en cause, il se coupe de toute perspective extérieure. L’idiot, par son décalage, révèle l’existence de ces biais et rappelle la nécessité d’une pluralité des points de vue.

Dans un monde professionnel où la conformité est valorisée, cette posture d’idiot nous invite à réintégrer une forme de spontanéité et d’authenticité. Il agit comme un révélateur de nos habitudes, nous forçant à voir autrement ce que nous considérons comme évident.

En entreprise, ce type de posture est précieux. Il remet en question les routines, interroge les logiques établies et brise l’entre-soi conformiste.

Quand l’idiotie rencontre l’innovation : un parallèle avec les démarches d’idéation

Ce rôle de perturbateur bienveillant trouve un écho particulier dans les pratiques d’innovation.

Dans nos accompagnements avec Co’efficience 3, nous utilisons des techniques d’idéation, comme l’idéation contrainte ou les Chapeaux de Bono. Ces approches visent à contourner les biais cognitifs et à forcer le groupe à sortir de ses cadres de pensée habituels.

L’idiot, par nature, adopte spontanément cette posture. Il regarde ailleurs quand tout le monde se focalise sur un même point. Reprenons notre proverbe chinois précédemment cité: Si on change de perspective, on pourrait dire que l’idiot, lui, regarde là où personne ne regarde. Il s’intéresse au détail que les autres négligent, et c’est souvent dans ce détail que réside l’innovation. Il ose exprimer des idées absurdes, souvent rejetées a priori, mais qui, retravaillées, deviennent sources d’innovation.

Et si nous apprenions à être un peu plus idiots ?

Plutôt que de stigmatiser l’idiot, pourquoi ne pas s’inspirer de sa posture ?

Dans un environnement où tout est prévu, cadré et rationalisé, réintroduire un brin d’idiotie pourrait être une clé pour décloisonner la pensée et favoriser la créativité. Dans nos démarches collaboratives, nous encourageons cette liberté de questionnement, ce droit à l’erreur et cette capacité à ne pas savoir pour mieux (ré)apprendre.

Finalement, l’idiot est peut-être celui qui nous ramène à l’essentiel : la capacité à s’étonner, à s’interroger et à voir différemment. Une qualité précieuse pour toute organisation qui veut innover et se réinventer.